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Régionaliser la France : tendre vers l’organisation territoriale allemande ?

par Lucas Puygrenier

10 11, 2016 | dans Développement Territorial, Finance publique, Politiques publiques | 0 Commentaires

L’Allemagne est devenue depuis près d’une décennie la référence principale de la classe politique – de droite comme de gauche – qui lui jalouse sa réussite économique. Ainsi, notre voisin germanique est devenu le modèle par excellence, un horizon vers lequel la France, à coup de réformes, devrait tendre.

L’organisation du territoire ne fait pas exception, et la loi NOTRe du 7 août 2015 réduit les compétences des départements au profit des 13 régions métropolitaines dessinées par la nouvelle carte en vigueur depuis le 1er janvier 2016. Une réforme territoriale largement influencée par l’organisation territoriale allemande.

L’organisation territoriale allemande et française : la rencontre improbable

L’Allemagne et la France ont connu une histoire institutionnelle on ne peut plus opposée. Née de l’unification des différents Etats princiers germaniques en 1871, l’Allemagne a opté pour le modèle fédéral où les régions, Länder, jouissent de larges compétences et d’un haut degré d’autonomie. La France au contraire, a été marquée par la Révolution de 1789 et l’idéologie jacobine, qui, abolissant les anciennes Provinces, a promu un Etat fort et centralisé. Ainsi les régions françaises sont une création tardive, initiée en 1955 sous la forme de « régions programmes » et n’acquérant le statut d’échelon administratif qu’en 1963.

Cependant, le modèle jacobin s’est vu remis en question par la décentralisation (Acte I) opérée par les lois dites « Deferre » de 1982-1983, puis poursuivie par les lois dites « Raffarin » de 2003-2004 (Acte II). Cette décentralisation, qui consiste principalement en une dévolution de compétences étatiques aux échelons territoriaux inférieurs, a pris une direction différente avec la loi NOTRe de 2015, présentée pourtant comme l’Acte III du processus. En effet, celle-ci impulse une « centralisation » des compétences autours de 13 grandes régions, principalement au détriment des départements, dont l’exécutif a même fait part de sa volonté de les supprimer. A3e consulting a ainsi souhaité étudier les raisons et les conséquences de cette régionalisation et de cette relative importation allemande.

Les attraits du modèle territorial allemand

Tout d’abord, la première justification avancée pour de telles réformes est la volonté de limiter le conflit de compétences entre collectivités territoriales, et de mettre fin au fameux « mille-feuilles administratif » qui entrainerait des surcoûts et réduirait les capacités de la puissance publique. Il est vrai que les collectivités locales pèsent de plus en plus dans la dette publique, à hauteur de 173,7 milliards en 2012, soit une hausse de 67% depuis 2002. La réduction de compétences des plus petits échelons territoriaux au profit de ceux de la région a donc pour objectif d’effectuer des économies d’échelles substantielles.

Ensuite, la nomenclature de Bruxelles fait des régions la base d’attribution pour les fonds structurels européens. Selon l’Accord de Partenariat pour la France qui couvre la période 2014-2020, les deux fonds structurels les plus importants, le Fond Européen de Développement Economique Régional (FEDER) et le Fond Social Européen (FSE) cumulés accorderont 15,9 milliards d’Euros au pays. Ces fonds ne sont donc pas négligeables et des régions plus vastes devraient permettre à la France d’obtenir davantage de subventions. Le FEDER subventionnant des politiques telles que l’incitation au développement technologique et à l’innovation, ou encore le soutien aux PME ; le FSE étant essentiellement destiné à la création d’emploi et la réduction de la pauvreté, leur existence a incité à doter les régions de compétences analogues aux objets des fonds européens, des régions qui jouissent par ailleurs depuis 2014 d’autorité de gestion de ces fonds. Ainsi, les politiques européennes ont fortement contribué à la régionalisation de l’espace français.

Enfin, la régionalisation a pour objectif d’accroître la compétitivité des territoires. Souhaitant rivaliser avec les grandes régions des pays voisins, et atténuer la structure encéphale du territoire français par la région Ile-de-France – qui, avec seulement 2% du territoire, représente 18,2% de la population et plus de 30% du PIB national – la création de grandes régions est supposée permettre à celles-ci de rivaliser à l’échelle nationale et européenne.

Vers un « darwinisme » régional ?

Cependant, cette relative imitation du voisin allemand n’est pas sans poser de problèmes. La pratique de financements croisés, provenant des différentes collectivités territoriales, c’est-à-dire la prolifération de projets financés par les additions du concours de l’État, de la région, des départements, des communes voire de l’Europe, engendre complexité et lenteur. Par ailleurs, les souvent différentes couleurs politiques de chacune des collectivités partageant des compétences communes affaiblie la cohésion des politiques publiques. Ainsi, bien que chaque réforme territoriale prétend en finir avec le « mille-feuilles » territorial, elles participent le plus souvent à l’alimenter. Par ailleurs, le plus souvent la décentralisation de la gestion des dépenses s’opère à un rythme nettement plus rapide que celle des recettes. Ainsi, souhaitant tendre vers le fonctionnement des Länder, les transferts de compétences sans apport de financement incitent à la multiplication des impôts, qui amènent à un manque de transparence et à une inutile complexité, ainsi que le recours massif au secteur privé. Pourtant, cette sous-traitance par le privé, souvent supposée plus efficace et moins coûteuse, contribue très souvent à la création d’oligopoles et à l’augmentation du prix des services. Les concessions autoroutières sont un exemple révélateur en la matière.

Enfin la régionalisation à l’extrême fait craindre une augmentation des inégalités au sein du territoire. En effet, malgré une certaine volonté politique de juguler les disparités économico-sociales, en particulier depuis les vagues d’attentats qui ont relancé le débat sur les quartiers délaissés, celle-ci semble contrée par une logique de compétitivité, qui conduit à un renforcement des pôles déjà économiquement prospères. De plus, l’éloignement des centres de décision et d’attribution des prestations sociales du citoyen – avant la loi NOTRe par exemple, les régions et départements disposaient la clause de compétence générale ce qui leur offrait un pouvoir d’initiative en la matière – peut affaiblir la qualité d’expertise des élus, en particulier dans de vaste régions aux réalités économico-sociales très diverses, et également réduire la capacité d’interpellation du citoyen. De même, les PME risquent d’être plus en peine de faire remonter leurs difficultés ou d’élaborer des projets avec le concours du décideur politique.

L’obsession pour le modèle allemand tend à oublier les difficultés que connait le pays. En effet, si l’Allemagne donne bien un enseignement, pourtant rarement considéré, c’est celui de la forte disparité entre Länder, entre par exemple le Land Mecklembourg-Poméranie-Occidentale et le Land de Hambourg (avec respectivement un PIB/hab de 21 700€ et 49 638€), que le système de transferts fiscaux ne parvient pas à juguler. De même, l’Allemagne connait une plus grande proportion d’individus sous le seuil de pauvreté (15% contre 13,9% en France, en 2012). Ainsi, alors qu’outre-Rhin les compétences des Länder sont de plus en plus décentralisées au profit des échelons inférieurs et ce notamment pour améliorer la protection sociale, de même que la législation en la matière se renforce (avec par exemple la mise en place d’un salaire minimum en janvier 2015) ; la France, en privilégiant compétitivité sur solidarité, risque de détériorer aussi bien ses chances de développement économique que social.

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