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Nuit debout, quelles idées politiques derrière ce « laboratoire démocratique » ?
par Hélène Delaplace
05 13, 2016 | dans Non classé | 0 Commentaires
Ils sont les porte-paroles du raz-le bol général, ils sont ceux qui n’ont plus pu supporter ni la marée noire des mauvaises nouvelles ni la goutte d’eau de la loi El Khomri qui a fait déborder le vase de la tolérance. Le printemps s’est levé le 31 mars, ils pourront couper des fleurs, ils ne l’arrêteront pas. Ils remettent en cause les partis politiques et le système économique qui, alliés à une conjoncture désavantageuse, forcent les jeunes à devenir vieux avant l’âge.
Ils ont été déçus, alors ils cherchent un idéal, des valeurs auxquelles s’accrocher pour renouer avec leur idéalisme initial refoulé, bafoué, vendu. Sur un modèle d’agora antique ils remettent en question les fondements mêmes de la démocratie, discutent de tout, du changement climatique, à l’accueil de migrants, en passant à la crise du logement, sans transition ni cohérence, si ce n’est celle du désir de changement. Car « leurs rêves ne rentrent pas dans les urnes ». Alors ils luttent contre le sommeil pour mettre en place des assemblées générales, des pôles, des commissions et s’organiser sans avoir besoin de leader.
Nuit debout c’est une primaire citoyenne et un petit monde à lui tout seul. Un pays de cocagne où chacun se réapproprie la parole et l’espace public. Où la politique n’est pas une affaire de professionnels mais l’affaire de tous. Pour y rentrer il faut apprendre un langage fait de signes, apprendre à compter les jours différemment. Nous sommes par exemple aujourd’hui le Jeudi 45 mars. C’est un monde constitué de petits archipels établis dans plusieurs villes françaises (Place du Bouffay à Nantes, esplanade Charles-de-Gaulles à Rennes, pont de la Guillotière à Lyon) et qui s’étend jusqu’à Bruxelles. On ne peut les accuser d’être des fauteurs de trouble car ils déposent des déclarations de manifestations et font tout dans les règles.
Cependant, considérer ce mouvement comme un refuge pour idéalistes en peine serait une erreur, car nombreux sont les idéaux politiques sous-jacents qui émergent ponctuellement au fil des discours. Tout d’abord à l’origine du mouvement, il y a certaines organisations alternatives, comme l’association Droit devant ou le journal Fakir qui sont associées à des valeurs et des alliances avec la gauche. Ensuite il y a les militants qui, pour beaucoup, se revendiquent frontistes, anarchistes ou d’extrême-gauche. La voilà la ressemblance avec mai 68, on la trouve dans ce clivage qui n’a rien de nouveau.
Ce mouvement citoyen ne va pas sans en rappeler un autre, celui d’Emmanuel Macron, qui lui non plus ne dort pas mais se met En marche ! Au-delà d’un effet de mode, ces modèles d’engagement citoyen révèlent l’essoufflement du bipartisme et la déception de la jeunesse face à François Hollande qui avait promis de faire d’elle une priorité, face à des hommes qui font plus de communication que de politique. Ils témoignent également d’une volonté de rallier les français touchés par l’abstention et qui se sentent peu concernés par l’actualité politique : les jeunes, les modérés, les consensuels… et les militants d’extrême-gauche.
Les militants de Nuit Debout croient en la possibilité d’un nouveau mai 68 et en la force de la jeunesse « qui ne veut pas perdre sa vie à la gagner ». La population est jeune, multiculturelle et constitue une masse populaire qui n’est pas sans inquiéter le gouvernement. Le mouvement porte les germes d’une vraie révolution, au même titre que les « Indignados » espagnols, de la « génération des 700 euros » grecque ou de l’« Occupy Wall Street » américain. Au-delà de la démarche assez éclectique des participants, le mouvement en lui-même traduit une revendication sous-jacente de démocratie participative et de rejet du système représentatif. Même si il ne pèse pas assez sur la politique du gouvernement pour obtenir le retrait de la loi El Khomri, Nuit debout rassemble la contre-culture politique autour du concept d’une démocratie directe, dans laquelle les élus devraient rester sous le contrôle des citoyens auxquels ils sont tenus de rendre des comptes. Sur quoi leur action aboutira-t-elle ? Sauront-ils s’organiser pour rédiger un cahier de doléances ? L’avenir nous le dira. En attendant, ils sont là, ils ne fermeront pas l’œil. Le jour, ils sont « à bout, la nuit : debout. ».





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