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Prélèvement à la source des impôts sur le revenu : intérêts et difficultés

par Maxime Verdin

01 07, 2015 | dans Finance publique, Non classé, Politiques publiques | 1 Commentaires

Ce n’est pas une idée nouvelle ; déjà en 1988, Michel Rocard avait évoqué cette idée dans son discours d’investiture. Le problème de cette disposition était celui du choix entre « année blanche » et « année double ». En effet, passer du prélèvement habituel – l’année suivant la perception des revenus – à un prélèvement à la source offre deux possibilités. L’Etat peut décider d’abandonner l’année de transition. Par exemple, si le prélèvement à la source commence en 2015, les nouveaux impôts – ceux de 2015 – se substituent pleinement aux impôts de l’année 2014. Autre possibilité, celle de ne rien abandonner, et de faire supporter à la fois les impôts de l’année en cours et ceux de l’année précédente. Sous le gouvernement Rocard, le circulaire de modernisation de l’Etat paru en février 1989 proposition la première solution.

Cependant, le choix que le gouvernement Valls aura à faire – à supposer que le prélèvement à la source soit décidé – ne sera pas aussi aisé, la conjoncture économique ayant subi de profondes mutations. Aujourd’hui, en France, la moitié des prélèvements obligatoires fonctionne avec ce système, et notre pays est l’un des derniers pays développés du monde – avec la Suisse et Singapour – à ne pas l’avoir adopté.

Il convient désormais de peser le pour et le contre de ce système, et d’établir les difficultés auxquelles nous sommes actuellement confrontés pour le mettre en œuvre.

De multiples voix s’élèvent contre la mise en place du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, accusant les difficultés techniques de son fonctionnement et, dans une plus large mesure, les problèmes éthiques qui lui sont liés.

Le prélèvement à la source pose le problème de l’intégration dans le calcul fiscal des déductions auxquelles ont droit les ménages. La déduction est une somme soustraite du revenu, avant que le calcul de l’impôt ait été fait. Avec le système de prélèvement actuel, l’imposition est facilitée par le fait que tous les revenus perçus par le contribuable sont connus à la fin de l’année. Si le système en vigueur était celui du prélèvement à la source, il y aurait un problème car l’entreprise ne pourrait pas connaître les déductions d’impôts futures du contribuable. Par exemple, le système serait inefficace si celui ci devait payer une somme d’impôt sur un an, et que cette somme était inférieure aux déductions auxquelles il devait avoir droit pendant la même année. La solution serait d’accorder aux prélèvements une valeur d’acomte, qui donnerait lieu à une régularisation en fin d’année. Le mécanisme serait alors semblable à celui qui est en vigueur actuellement, et les bénéfices du prélèvement à la source en seraient atténués, voire totalement absents.

De façon moins technique, le prélèvement à la source est également synonyme d’accès aux données fiscales du contribuable. Dans le cas d’une relation entre un salarié et son employeur, ce dernier aurait à sa disposition l’intégralité des données fiscales du salarié. Ce serait en effet l’employeur qui prélèverait les impôts directement sur la fiche de paye, supprimant ainsi l’existence d’un salaire brut pas encore imposé. En ce sens, la tradition française de confidentialité des données fiscales serait bouleversée. D’après l’article L. 103 du Livre des procédures fiscales (LPF), « l’obligation du secret professionnel s’applique à toutes les personnes appelées à l’occasion de leur fonction ou attribution à intervenir dans l’assiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux des impôts, droits, taxes et redevances prévus au code général des impôts ». De cette façon, les données fiscales individuelles ne sont pas communicables aux tiers non habilités – seuls le contribuable lui-même, son représentant ou un tiers disposant d’une dérogation prévue par la loi peuvent y avoir accès. La solution à ce problème serait de s’inspirer de pays tels que l’Espagne ou l’Irlande, où c’est l’administration fiscale qui communique le montant à prélever aux employeurs ; avec cette méthode, l’employeur n’a à aucun moment besoin d’être en contact direct avec les données fiscales du contribuable qu’il rémunère.

Dans une moindre mesure, d’aucuns estiment que le prélèvement à la source des impôts aurait l’effet néfaste de « dissimuler » la pression fiscale. Cette idée est défendue par des associations libérales comme Contribuables associés ou Liberté chérie. Contribuables associés prône la défense des contribuables français et souhaite notamment la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ; son slogan, « Contre l’oppression fiscale, la pression des contribuables »,  témoigne de son intérêt pour la baisse des impôts. Liberté chérie, quant à elle, est libérale de manière beaucoup plus large, et soutient Contribuables associés dans ses idées conceptuelles d’imposition. Selon ces deux associations, la dissimulation de la pression fiscale à travers le prélèvement à la source passe par le fait que ce système « lisse » l’imposition, car elle est déjà soutirée aux revenus quand ceux-ci sont perçus.

De nombreux inconvénients existeraient donc si l’on passait au système de prélèvement à la source, des difficultés techniques au problème de dissimulation, en passant par la perte de confidentialité fiscale. Pourtant, le système possèderait également de multiples intérêts, tant du point de vue du contribuable que de celui de l’Etat.

Le salaire brut ne serait plus distinct du salaire net, seul le second continuerait d’être inscrit sur les fiches de paye. Ainsi, le contribuable saurait instantanément ce qu’il touche, le seul salaire inscrit étant le salaire net d’impôt. Cela clarifierait de manière efficace le système de rémunération du salarié. Avec le prélèvement à la source, les contribuables, étant donné qu’ils savent instantanément ce qu’ils payent en matière d’impôt, n’ont pas besoin de prévoir d’épargne de précaution. L’argent qui n’est pas épargné est alors un surplus de pouvoir d’achat « direct » du contribuable, ce qui encourage sa consommation, engendrant dans une optique plus large l’augmentation de la production des entreprises, et donc, de manière indirecte, de son propre salaire. Cette logique keynésienne pourrait plaire aux citoyens français, qui, depuis 2008 et la crise des subprimes, voient leur pouvoir d’achat diminuer fortement, en raison de la rigueur budgétaire imposée par l’Etat, qui freine l’investissement, la croissance et engendre la plupart du temps la diminution des revenus, voire leur suppression – faillite, licenciement, etc. Le prélèvement à la source pourrait donc réconcilier une gouvernance étatique, d’autant plus que celle-ci a été élue par un électorat de gauche qui prône la relance de l’économie par la hausse de la demande, donc du pouvoir d’achat des consommateurs.

Ce système pourrait également rendre immédiate la prise en compte des hausses et baisses de revenus. En effet, avec le système en place, un contribuable qui voit ses rentrées diminuer voit ses impôts suivre le mouvement l’année suivante. Or, une baisse brutale des salaires non suivie d’une baisse d’au moins la même ampleur des impôts est un phénomène difficile à supporter pour le contribuable, les compensations – quand il y en a – pouvant être, relativement, minimes. Avec le prélèvement à la source, le contribuable ne doit donc pas attendre un an avant de payer moins d’impôts. Ce phénomène est réellement avantageux, car l’instantanéité des augmentations et diminutions d’impositions simplifie les calculs financiers réalisés au sein des ménages. Les contribuables sont effectivement moins enclins à s’endetter, le revenu perçu étant celui qu’ils peuvent dépenser, et non celui sur lequel ils seront en partie, un an plus tard, imposés.

Les intérêts du prélèvement à la source des impôts sont également ceux de l’Etat, et cela, dans un contexte d’importante crise économique qui allie endettement public et déficit budgétaire, pourrait modifier positivement la conjoncture.

Les économies de l’Etat pourraient tout d’abord être liées à l’organisation du système de prélèvement fiscal en lui-même. Avec le régime de prélèvement actuel, le nombre de fonctionnaires s’occupant de la collecte d’impôts s’élève à 20 000 environ. Le prélèvement à la source délèguerait la tâche aux entreprises, ce qui permettrait de libérer 20 000 postes. Ces fonctionnaires seraient redirigés vers des professions qui nécessitent de plus en plus d’éléments. Il est ici possible de citer les organismes de lutte contre la fraude fiscale qui, composés de plus de travailleurs, et dans le contexte actuel de rejet de l’impôt, pourrait relégitimer le système d’imposition dans son ensemble. Ainsi, le prélèvement à la source, en plus d’être bénéfique par son fonctionnement interne, pourrait améliorer d’autres systèmes, et permettre ainsi de réaliser des économies ailleurs.

En outre, prélever les impôts au moment même où les individus perçoivent leur revenus, c’est limiter de manière efficace l’optimisation fiscale. Le fait, pour un contribuable, de réduire comme il le souhaite l’imposition de ses revenus en réalisant les investissements adéquats – dans l’une des multiples niches fiscales existantes –, deviendrait impossible avec ce régime d’imposition. Actuellement, c’est le délai entre la perception du revenu et le prélèvement des impôts qui leur permet de réaliser ce genre de manœuvre. Prélever à la source, c’est donc ne pas leur laisser le temps de placer leur argent dans des niches fiscales, ce qui, au vu de ce que cette évasion fiscale représente actuellement – voir Les 600 milliards qui manquent à la France, Antoine Peillon, Seuil, 2012 – serait source d’importantes économies pour l’Etat.

Enfin, avec le prélèvement à la source des impôts sur le revenu, les variations de l’impôt pourraient être plus directement liées à celles du revenu. Les effets des politiques fiscales menées par l’Etat seraient instantanés, car dès lors qu’il décidera de modifier la somme d’un impôt, la modification sera effective, et ne devra pas attendre un an comme c’est le cas avec le régime d’imposition actuel. La faculté d’adaptabilité de la politique fiscale serait accrue, ce qui, dans la période de crise, pourrait faciliter la conduite de la politique voulue par le gouvernement. Par conséquent, si le gouvernement de Manuel Valls souhaite relancer rapidement l’économie par l’accroissement de la consommation, il serait possible de diminuer l’imposition des contribuables, ce qui, beaucoup plus directement que ce n’est le cas actuellement, aurait des effets positifs sur les revenus des ménages, et donc sur leur pouvoir d’achat.

Les inconvénients étant vraisemblablement surpassés par les avantages du système de prélèvement à la source des impôts, pour les contribuables comme pour l’Etat, la réticence à réformer est peut-être due à la difficulté liée à l’année de transition entre le régime en place et le régime souhaité ici.

Passer au prélèvement à la source, c’est choisir entre imposer doublement les contribuables et leur abandonner une année d’imposition. Pour le premier choix, si le régime était mis en place début 2016, les contribuables devraient payer les impôts de 2015, en plus des nouveaux de 2016. Cela semble invraisemblable à mettre en place, alors que les contribuables français expriment ce qu’ils ont aujourd’hui coutume d’appeler le « ras-le-bol fiscal ». Pour le second choix, dans le même scénario – mise en place en 2016 –, l’Etat imposerait directement les revenus perçus en 2016, en délaissant ceux de l’année 2015. Ce déroulement semble tout aussi impensable, quand on connaît l’état du déficit public, déjà difficilement remboursable avec le système de taxes et d’imposition déjà existant. Les pays ayant effectué la transition et ayant décidé l’ « année blanche » l’ont fait, pour la plupart, au début des années soixante-dix, c’est à dire à la suite directe des Trente Glorieuses, processus de croissance économique de longue durée amorcé dès la fin des années quarante. Autrement dit, le mot d’ordre n’était pas la restriction budgétaire de l’Etat. Le passage au prélèvement à la source avait même, parfois, exacerbé la croissance – jusqu’à 4% – grâce à l’épargne croissante tirée de ces revenus non-imposés. Cependant, dans le contexte actuel, il paraît inenvisageable de décider cette « année blanche », car celle-ci coûterait 70 à 75 milliards d’euros. La situation peut donc, à bien des égards, sembler bloquée.

Le débat du prélèvement à la source n’est donc pas celui de la légitimité de sa mise en place. Les intérêts de ce régime surpassent de loin ses inconvénients, et le simple fait que la France soit l’un des derniers pays développés à ne pas l’avoir mis en place suffirait à prouver sa légitimité. Les difficultés que rencontre sa mise en place pèsent cependant beaucoup, et, de ce fait, même si la majorité des hommes politiques, de droite comme de gauche, sont d’accord sur l’utilité de ce régime d’imposition, sa mise en place tarde quelque peu. Il y a pourtant des solutions. Une méthode pourrait par exemple consister à « lisser » cette révolution fiscale, sur deux années. La première année, les contribuables paieraient un tiers de l’impôt prélevé sur l’année en cours, et les deux tiers sur l’année précédente. La deuxième année, les proportions seraient inversées. Mais le fait est que si cette méthode est facile à imaginer, elle est particulièrement difficile à mettre en place dans la réalité. Et il en est de même pour les autres solutions proposées. Le problème ne sera donc surmonté qu’à partir du moment où les ministres et députés se seront penchés sérieusement sur le sujet, de façon à être capables de mettre en place une réforme qui, cela ne fait plus aucun doute, favoriserait le bon état de la société française dans son ensemble.

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1 Commentaires

  1. Il est vrai que le prélèvement à la source de l’IR a fait ses preuves dans la quasi-totalité des pays développés. La France, Singapour et la Suisse sont les derniers pays membres de l’OCDE a ne pas avoir instauré un tel système! Le point positif est que le gouvernement pourrait éventuellement s’inspirer des modèles les plus performants. C’est un projet épineux mais très ambitieux, surtout si l’échéance pour 2018 est maintenue

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